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Space News InNet 168b
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Space News InNet numero 168b mardi 23 septembre 1997
Numero special : Les comptes da la station spatiale
Partie 2
Pour venir encore compliquer les problemes de securite, il y a l'extreme
brievete de la fenetre de lancement autorisee pour permettre a la navette
de rejoindre la station : cinq minutes par jour pour atteindre les 51,6
degres d'orbite exiges par la participation russe. On se souvient que c'est
la pression exercee pour respecter les delais imposes qui conduisit a
l'explosion de Challenger. La NASA dit aujourd'hui : "Les calendriers de
tir sont flexibles; les exigences de securite ne le sont pas". Mais
l'agence devra se montrer particulierement flexible avec sa fenetre de tir
de cinq minutes. Selon l'Inspecteur general, "environ 23 % des vols de
navette effectues depuis l'accident de Challenger ont ete retardes par des
problemes techniques dus a la navette elle-meme".
Bien que ces problemes de securite soient bien connus, la NASA a recemment
pris bonne note d'une estimation beaucoup plus faible du risque d'explosion
d'une navette : 1 sur 248. Cette estimation vient d'un rapport du 28
fevrier 1996 redige pour le compte de la NASA par une entreprise sous
contrat avec le Pentagone, la Science Applications International
Corporation. Or celle-ci a ete convaincue en 1992 d'avoir escroque
l'administration en menant de faux tests de laboratoire, et a du verser 1,3
million de dollars d'amende. Ce rapport a ete publie sans fanfare par la
NASA : de fait, l'expert du service du Congres charge des recherches sur la
navette ignorait toujours son existence quatre mois apres sa publication.
Un haut responsable de la Commission consultative independante sur la
securite de la NASA s'est refuse a tout commentaire, si ce n'est pour dire
qu'il connaissait l'existence du rapport. Si l'on en croit certaines
sources, la NASA s'appuie sur ce rapport pour reevaluer le risque
d'explosion a 1 sur 100 au vu des ameliorations materielles apportees a
cette flottille vieillissante.
D'apres les procureurs federaux qui ont negocie le reglement de 75 millions
de dollars effectue par Boeing, la societe reconnait "avoir facture sans
justification des millions de dollars de contrats de recherche et de
developpement, que Boeing presentait fallacieusement comme etant des frais
generaux lies a ses efforts de production et de fabrication". Or la NASA
persista et choisit Boeing comme principal contractant en depit du fait que
la firme n'ait pas voulu fournir le detail de ces "frais generaux" en
rapport avec l'instruction en cours. "C'est a la requete de
l'administration que Boeing n'a pas produit ces documents" a declare sous
serment le general Dailey, de la NASA, au representant Dingell.
Dingell a retorque : "Ils ont ete dispenses de le faire en raison des
deplorables antecedents de la firme". "C'est bien cela" a repondu le
general.
Cette negation du bon sens commercial est d'autant plus surprenante que la
NASA elle-meme avait attribue a Boeing des notes mediocres ou
insatisfaisantes en matiere de controle des couts au cours des quatre
periodes comptables anterieures depuis 1992.
A quoi s'ajoute le peu de fiabilite des donnees que la NASA utilise pour
faire ses audits. Dans un rapport du GAO intitule "Les rapports financiers
de la NASA sont fondes sur des sources non fiables", on peut lire : "Le GAO
a decouvert que les problemes du formulaire de declaration 533 (principal
systeme de controle) etaient essentiellement les memes que ceux que l'OIG
(Bureau de l'Inspecteur general) avait decrits dans son rapport il y a
quatre ans. De plus, I'audit du GAO a revele que le depouillement des
formulaires 533 par la direction n'avait pas toujours pour resultat de
corriger les faiblesses constatees". Le rapport decrit comment le prix des
toilettes d'une des navettes est passe de 2,9 millions de dollars en 1988 a
30 millions en mai 1991 "parce que le cahier des charges n'avait pas ete
respecte". Le rapport conclut : "La NASA et le Congres prennent des
decisions portant sur des milliards de dollars destines a des programmes,
des projets et des budgets de contrats fondes sur des donnees chiffrees
inverifiables La NASA ne s'est pas assuree que les chiffres avances par les
fournisseurs sont exacts, utiles, pertinents et correctement enregistres.
L'incapacite de la NASA a corriger les faiblesses materielles detectees a
permis a la situation de perdurer".
La direction du projet de la station spatiale a la NASA a reconnu, en ce
qui concerne Freedom: "La tres reelle instabilite du programme de station
spatiale au cours des dernieres annees a eu pour consequence l'impossibi-
lite de respecter le calendrier prevu et de fournir des estimations
fiables". La conception de Freedom a ete revue en 1986, 1987, 1989 et 1991.
Chaque revision a reduit le nombre d'experiences scientifiques pouvant etre
realisees a bord, avant l'abandon du projet.
Un autre facteur d'instabilite est apparu en mai 1996. Boeing a ete
incapable de parvenir a un accord avec Lockheed au sujet des frais de prise
en charge d'un element de la station fabrique par les Russes : un element
cle, car le premier a etre mis sur orbite. Du coup, Boeing a decide de
reprendre a sa charge cette partie du projet. Selon un attache de presse de
la NASA, Lockheed n'est plus desormais un sous-traitant de premier rang. Il
a meme declare qu'il ne l'avait jamais ete, malgre les documents officiels
qui montrent le contraire. Lockheed reste neanmoins un important
sous-traitant de deuxieme rang.
Consequence de cette defaillance des processus de controle : il est
demontre que la plupart des grandes entreprises qui travaillent sur la
station spatiale affichent des depassements de budgets phenomenaux. Le
rapport final de l'Inspecteur general sur Freedom a montre que McDonnell
Douglas avait depasse son budget de 522 millions de dollars (apres revision
d'un chiffre initial de 710 millions). D'apres l'Inspecteur general, "plus
de 50% de cette reduction reside dans des reports qui diminuent les couts a
court terme, mais ont pour effet d 'accroitre les depenses a long terme en
raison de l'inflation et d'autres facteurs".
La NASA a soutenu que la participation russe a la station permettrait aux
Etats-Unis d'economiser 2 milliards de dollars. Or dans un rapport de
juillet 1994, le GAO a montre que cette participation entrainerait au
contraire un surcout d'au moins 400 millions de dollars. Il faudrait au
moins 535 millions de dollars supplementaires pour adapter les navettes a
ces vols. Mais cet element a ete retire des dossiers comptables de la
station et transfere sur d'autres budgets. En une autre circonstance,
l'Inspecteur general de la NASA a recu une lettre d'un haut responsable du
projet, qui declarait : "Le financement du centre Gagarine d'entrainement
des cosmonautes ne fait pas partie de la dotation de 2,1 milliards de
dollars destinee a la station spatiale et n'est en fait pas assure par le
programme des navettes spatiales...". Un rapport de l'Inspecteur general de
la NASA date du 16 septembre 1994 precisait : "A ce jour, I'audit a montre
que le ssPo (Bureau du programme de la station spatiale) presente un
desequilibre entre financement et cout qui risque de mettre le programme en
peril si les depenses ne sont pas ajustees a la dotation. Plus precisement,
il semble que le ssPo ne dispose pas de fonds suffisants pour couvrir des
depenses imprevues en plus des nantissements et des engagements au cout
imprevisible ou encore en negociation". Ces derniers s'elevent selon ce
meme rapport "a plus d'un milliard de dollars". La NASA avait espere
resoudre ces problemes en reduisant les couts, mais un nouveau rapport du
GAO de juin 1995 estime par ailleurs que la NASA a deja epuise son matelas
de reserves financieres destinees a la station pour 1996 et qu'il ne lui
reste qu'un derisoire 5,3 millions de dollars pour 1997.
Un attache senatorial a attire notre attention sur une zone possible
d'"evenements imprevus" : "Nous n'avons pas d'argent pour tester au sol la
cohesion du systeme avant de le lancer dans l'espace" dit-il. C'etait le
cas du miroir du telescope Hubble. C'est particulierement troublant, car le
premier element de la station qui doit s'envoler est une piece fabriquee
par les Russes, le FGB (ou "unified cargo block"), dont Boeing, on l'a vu,
a retire la maitrise d'œuvre a Lockheed. Il est actuellement en cours de
fabrication, ce qui est paradoxal compte tenu des problemes de conception
encore non resolus pour ce qui est de l'informatique embarquee. Ce type de
procedure a deja entraine des echecs, des depassements de budget ou des
retards monstrueux pour de nombreux engins fabriques aux Etats-Unis meme -
par exemple, le bombardier B1B et le transporteur de fret C-17. Les
problemes de logiciels sur le C-17 l'ont rendu incapable de remplir sa
principale mission : l'atterrissage et le decollage sur de courtes
distances. Sur le B1-B, l'absence de systeme electronique de defense est en
partie due a des lacunes de logiciel.
Le rapport de l'Inspecteur general de la NASA cite precedemment contenait
une autre remarque etonnante : "L'une des raisons de reviser la conception
du programme Freedom etait que celui-ci se trouvait confronte a des
centaines de millions de dollars de depassement, a de redoutables problemes
de management et des reserves insuffisantes. Si le nouveau programme -
Alpha - ne parvient pas a resoudre ces problemes de cout, il se retrouvera
sur la meme pente."
Normalement, les contractants ne doivent pas commencer a depenser des
milliards avant de s'engager dans le cycle de production. C'est la
veritable raison du developpement simultane de projets fondes sur des
contrats dont les couts sont sous-evalues. De ce point de vue les 11,4
milliards de dollars depenses pour Freedom ont porte l'art de dilapider les
deniers publics a un niveau de sophistication inconnu jusqu'ici. La NASA et
ses fournisseurs ont depense plus que le financement prevu de la navette
europeenne Hermes une fois achevee, sans rien produire d'autre (en ce qui
concerne Freedom) que des rames de papier.
Aucun des enqueteurs du Congres ou du GAO interroges pour cet article n'ont
pu expliquer ou etaient effectivement passes ces 11,4 milliards. Toutefois,
un rapport du Congres non publie, date du 29 septembre 1989, prepare par le
directeur de l'equipe d'enqueteurs de la Commission chargee d'attribuer les
dotations publiques, suggere ce qui a pu se passer. Il met en cause la
bureaucratie de la NASA : "Bien que le budget de la station spatiale ait
ete reduit de 45% au cours de l'annee fiscale 1988, le budget consacre a
l'equipe dirigeante du projet a augmente de 23 %".
Dans un autre cas, une ligne budgetaire affectee a la recherche et au
developpement affichait 64,4 millions de dollars pour 1990, 184 millions
pour 1991 et 352 millions pour 1992. La plus grande partie de cet argent
est allee aux fournisseurs. Le rapport contient ce commentaire : "Pour
l'une des principales entreprises sous contrat, il avait ete convenu qu'il
fallait l'equivalent de trente-quatre annees de travail pour realiser tel
element d'ici a l'annee fiscale 1991. Le fournisseur declara aux enqueteurs
de la Commission que l'equivalent de sept annees de travail aurait ete
probablement un objectif plus pertinent en attendant que la configuration
finale de la station soit determinee ce qui fait que (...) l'element cite
avait recu prematurement 80 % de son financement en 1991. Comme il
s'agissait d'un des contrats les plus petits, il est tout a fait probable
que les contrats de plus grande ampleur montreront des financements
prematures encore plus importants, la ou un retard aurait ete justifie, ou
dans certains cas, lorsqu'ils ont effectivement ete annules". En resume, la
NASA a tout simplement pompe l'argent - cinq fois plus qu'il n'etait
necessaire - et les fournisseurs l'ont tout simplement depense. Pourquoi le
Congres et trois presidents successifs ont-ils laisse faire ?
Lorsqu'on lui demanda si la NASA avait jamais annule un contrat parce que
le fournisseur avait depasse son budget et les delais impartis, le general
Dailey repondit : "Nous avons essaye". Pourquoi seulement "essaye" ?
"Derriere chaque programme, il y a un lobby politique, et nous avons ete
encourages a poursuivre certains programmes lorsque nous avons essaye...
Des membres du Congres ont parfois apporte leur soutien a des programmes
que nous envisagions d'interrompre" a repondu le general.
Les responsables europeens qui ont en charge le programme Airbus peuvent
mediter la declaration suivante des procureurs federaux : "Au cours du
reglement administratif de 75 millions de dollars deja evoque, Boeing a de
plus reconnu avoir facture sans justification sur des contrats
gouvernementaux plusieurs millions de dollars de couts lies aux ventes
directes d'avions a l'etranger". Si l'on se refere au rapport de 1994 du
service d'Enquetes du Pentagone deja cite, Boeing a verse 12 millions de
dollars dans un cas et 8 autres millions de dollars pour une affaire
apparentee.
En 1993, un senateur republicain vendit la meche lors d'un debat au Senat :
"Je suis egalement tres fier de savoir que McDonnell Douglas, dont le siege
se trouve dans mon Etat natal, le Missouri, construit l'armature du
laboratoire spatial international, a-t-il declare. L'aerospatiale est un
des quelques domaines industriels pour lesquels les Etats-Unis ont maintenu
leur balance commerciale en excedent : 31 milliards de dollars en 1992.
Cette industrie emploie plus de deux millions de personnes dans le pays.
Aujourd'hui l'abandon de la station spatiale signifierait le licenciement
de 50.000 travailleurs de l'aerospatiale qui y travaillent dans trente-neuf
Etats. (...) Si la station spatiale est abandonnee, ces salaries ne
sauraient pas ou aller car le secteur de la Defense est actuellement en
demantelement."
Signe de la crise, deux des grandes entreprises du secteur, Lockheed et
Martin Marietta, ont fusionne pour former Lockheed Martin Corp. dont les
marches militaires annuels s'elevent a 11,6 milliards de dollars. Cette
fusion doit entrainer la suppression de 17.000 a 30.000 emplois environ,
pour la plupart en Californie. Les deux societes sont tres impliquees dans
la construction de la station spatiale. Martin Marietta est sous-traitant
de McDonnell Douglas. Son president directeur general etait Norman
Augustine, principal signataire du "Rapport Augustine" de decembre 1990,
qui recommandait l'envoi d'une mission habitee vers Mars. Son rapport
affirmait : "La station spatiale est donc la prochaine etape cruciale si
les Etats-Unis ont pour but de disposer d'un programme de vols spatiaux
habites dans le futur". Le rapport Augustine a ete utilise de maniere
repetee par les partisans de la station spatiale comme etant sa principale
justification "intelligente".
Comme c'est souvent le cas dans les grandes societes americaines, les
dirigeants beneficient dans leur contrat d'une clause dite de "parachute
dore", enorme indemnite que le P-DG empoche avant de quitter le navire en
cas de rachat. En l'occurrence, Augustine empocha l'argent mais resta en
place, avec le titre de president de la nouvelle societe. La somme qu'il
recut, dans le cadre du plan d'indemnisation de la societe a la suite de la
fusion, etait de 8,2 millions de dollars.
L'ensemble des indemnites versees aux cadres dirigeants des deux societes
s'est eleve a 92,2 millions de dollars. La nouvelle compagnie factura 31
millions de dollars de cette somme sur des contrats du Pentagone et
pretendit que cela ne representait pas plus que ce que le Pentagone aurait
paye en l'absence de fusion. L'Inspecteur general du Pentagone le reconnait
: "Les deniers publics (...) vont etre utilises pour payer les indemnites
de certains cadres dirigeants". Combien ? L'Inspecteur general ne l'a pas
revele. S'il s'agit d'un tiers des 8,2 millions d'Augustine, celui-ci aura
recu 2,5 millions de dollars venant des deniers publics. Il n'aurait pas
recu ces 8,2 millions si les deux societes n'avaient pas fusionne. Le
senateur republicain Chuck Grassley a decrit ces versements comme etant
"totalement incomprehensibles".
Lors du debat au Senat deja evoque, un autre senateur, cette fois de
Californie declara : "Dans mon Etat, cela represente 5.000 emplois directs.
Multiplies par un facteur 2,5, cela represente 12.500 emplois, ou 1,4
million de personnes sont actuellement sans travail... Et c'est une mission
qui en vaut la peine."
En ce qui concerne la participation europeenne au projet, nous avons
interroge le Dr Jan-Baldem Mennicken, directeur general de la DARA,
l'agence spatiale allemande, au printemps dernier, dans son bureau
d'Oberkassel.
Interroge sur l'absence de fiabilite des entreprises grevees d'un dossier
charge et l'incapacite de la NASA a les controler, il repondit : "Nous
n'avons pas affaire aux societes, nous traitons de gouvernement a
gouvernement". Mais puisqu'il s'agit de la NASA ? "C'est le gouvernement
des Etats-Unis au travers de son President, de l'Office for Science and
Technology et de la Nasa... Ils ont participe a un accord international de
developpement et de participation au fonctionnement d'une station spatiale
internationale, avec les gouvernements du Japon, du Canada et des pays
europeens. Notre interlocuteur est donc le gouvernement des Etats-Unis. Il
va sans dire qu'en matiere de relations internationales, vous vous fiez
toujours aux accords passes avec le gouvernement associe. Ceci est donc une
affaire americaine interne et n'a pas jusqu'ici, que je sache, empeche le
gouvernement et le Congres de decider la construction de la station.
Voudriez-vous que nous, en Europe, nous nous posions en juges, et
declarions, au mepris des autorites americaines concernees : "La societe
que vous employez est incompetente" ? Ce n'est pas ainsi que fonctionne la
cooperation internationale."
Les responsables europeens favorables a la station spatiale semblent croire
que l'incroyable corruption, l'incomprehensible gachis, les aberrations de
management et l'opportunisme politique qui sous-tendent et portent a bout
de bras le programme de la station aux Etats-Unis, perdureront suffisamment
longtemps pour que l'Europe puisse tirer profit des depenses et des risques
encourus. Ils ont peut-etre raison, en depit de l'exemple fourni par le
projet comparable grand accelerateur - aujourd'hui abandonne - et des
coupes sombres pratiquees actuellement dans le budget americain.
Si les responsables politiques europeens favorables a la station se
trompent sur la docilite du peuple americain, ils pourraient bien eux aussi
avoir a payer leur part du gachis, y compris celle qu'occasionne leur
soutien aux subventions masquees dont beneficie l'industrie aerospatiale
americaine.
Robert BELL (La Recherche)
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